Les opérateurs de téléphonie continuent de rechercher des sites d’implantation dans les villages combiers et de mettre à l’enquête en sachant qu’ils ne pourront pas de suite mettre en fonction. Plusieurs projets sont ainsi en route et font leur chemin entre oppositions des riverains et moratoire cantonal en vigueur depuis juste une année.
La dernière enquête publique en date portait sur le remplacement de l’antenne située à la Haute-Route, au Sentier, contre l’ancien château d’eau, pour la rendre capable d’émettre en 5G. Echue le 6 décembre dernier, cette dernière a suscité une opposition dans la zone dite d’«utilisation sensible», en l’occurrence le gros kilomètre de rayon dans lequel des riverains pouvaient réagir officiellement. Cette opposition n’est pas une surprise. A Swisscom, porteur de ce projet commun avec Sunrise, l’on confirme que le cas est récurrent: environ un tiers des mises à l’enquête publique d’antenne en font l’objet. Un autre projet Chez Tribillet, au Brassus, est bloqué depuis février.
Des blocages ailleurs
Une nouvelle station mobile au Rocheray, en construction par le troisième des opérateurs de téléphonie suisse, Salt, sur un terrain de l’entreprise Carlin, a elle aussi fait l’objet d’une opposition plutôt costaude et relayée dans ces colonnes. Leur porte-parole se défend ici d’avoir été anti-5G ou même anti- antenne: c’est l’emplacement qui était en cause, à la limite de la forêt et à quarante mètres des premières habitations, ainsi que la discrétion de la procédure. L’affaire s’est terminée cet été 2020 devant un tribunal cantonal donnant tort aux opposants, les riverains. La plus grande des trois communes combières, Le Chenit, n’est pas la seule concernée. A L’Abbaye, le remplacement de la technologie au-dessus du Pont a fait l’objet d’une demande de mise à l’enquête fin 2018. Ces travaux n’ont à ce jour pas démarré, mettant en application les directives cantonales. Deux autres projets sont en discussion. Un, dans le périmètre du téléski à L’Abbaye et l’autre au milieu des Bioux, mais aucun de ces sites n’a été mis à l’enquête à ce jour. Au Lieu, pour finir, comme à la Haute-Route, il s’agit d’une transformation de l’antenne existante pour apporter la 5G.
Les communes suivent les directives cantonales
Du côté des communes combières, l’on est clair: la politique locale et calquée sur celle, cantonale, à savoir que les opérateurs peuvent louer voire acquérir leurs emplacements, publics ou privés, mettre à l’enquête et même installer le boîtier carré, de la taille de trois cartons à chaussures, qui permet d’émettre en 5G. Mais pas de mettre en fonction, tant que le moratoire cantonal, décrété il y a juste une année, reste en vigueur. Les cantons, tels Vaud, qui en ont prononcé un, l’ont justifié par l’absence d’«outils permettant de vérifier que ces installations respectent les valeurs limites en matière de rayonnement», quitte à se fâcher avec les représentants de l’économie et avec nombre d’utilisateurs.
Combler le «trou» du Marchairuz
Remarque d’importance, le fameux moratoire ne rime pas avec gel des implantations d’antennes, car les nouvelles stations en pays combier sont prévues d’abord pour la couverture en 3G et 4G et une préparation des antennes pour la 5G+. Parmi les «trous» connus, il y a l’exemple bien connu du Marchairuz qui fait le malheur des pendulaires transitant entre la plaine et La Vallée, lesquels ne peuvent régler leurs affaires au volant par manque de réseau. Les milieux économiques combiers militent depuis longtemps pour que cette zone-là soit couverte à son tour et l’un des projets de Swisscom y est bel et bien situé.
Pour les milieux économiques, la 5G aurait son sens dans un petit pôle industriel comme la Vallée de Joux, les perspectives de cette nouvelle technologie se situant dans l’industrie y compris médicale et dans l’intelligence des objets (connectés), pas tant dans la téléphonie mobile grand public.
Pas d’inquiétude à la SEVJ
A la SEVJ, l’on ne s’inquiète pas de voir les investissements conséquents réalisés ces dernières années, au niveau de la fibre optique notamment, concurrencés par l’avènement de la 5G. «A nous de suivre l’évolution et d’offrir des débits qui permettront de rivaliser avec le nouveau standard de téléphonie mobile. Si la tendance allait à s’accentuer, ce que je pense, on sera là nous aussi avec des débits suffisants. Par ailleurs la fibre optique offre des débits illimités alors que la 5G rencontrera les engorgements que nous connaissons dans cette technologie. Je pense que les deux technologies vont vivre ensemble. Je rappelle que nous vendons également du contenu, plus de deux cents programmes. En zone rurale, beaucoup de consommateurs sont habitués à un programme sur leur télévision et leur box», explique Alain Bourqui, directeur.
Est-ce qu’on arrête le progrès?
De fait, l’avènement de la 5G fait partie d’une évolution sociétale poussée par la demande (lire encadré) et soutenue par la Confédération. Un proche du dossier confirme que les 380 millions de francs déboursés, auprès de la Confédération, par les opérateurs pour obtenir le bouquet de nouvelles fréquences dédiées à 5G est un signal qui ne trompe pas. Le fait que la Confédération ait émis des recommandations à ce sujet confirme le sens dans lequel souffle le vent. Avant le Covid et le moratoire vaudois, le déploiement de stations émettrices 5G à l’échelle nationale allait bon train: 280 en juin 2019, 680 en décembre2019, puis 2300 en janvier 2020 (un dixième de la cible finale). «Il n’y a pas de raison de stopper le progrès, sauf si l’on réussit à démontrer que l’augmentation des fréquences est néfaste du point de vue médical. La seule alternative serait de consommer moins de contenu. Un natel sans accès au réseau de données suffit pour téléphoner», pointe Alain Bourqui de la SEVJ. «Il en va de même des coûts de la santé, au fond. S’est-on posé la question si nous voulions consommer moins de produits de santé plutôt que se plaindre de l’augmentation des coûts?»
Encore deux fois plus d’antennes à prévoir
Dernier point, la floraison des antennes à prévoir. Au lieu d’arroser un périmètre constamment, la technologie 5G agit comme un spot suiveur qui vise un utilisateur durant la durée d’utilisation du réseau. Elle requiert donc davantage d’antennes – un total de 26’000 à l’échelle du pays. Combien donc à La Vallée? Les opérateurs se refusent ici à donner un chiffre. En attendant d’en savoir plus, un simple ratio avec la part de population combière sur la population nationale (0,81 pour mille) appliqué au nombre d’antennes nécessaires dans le rapport du Groupe de travail Téléphonie mobile et rayonnement, à savoir 26’000, nous donne une estimation d’une vingtaine d’antennes sur notre région. Ce calcul tient de l’arithmétique à Bonzon, certes, mais on observera ceci: l’on serait actuellement au tiers du chemin avec le nombre de projets actuellement en route à La Vallée. Affaire à suivre.
Rappel des enjeux
Le grand public ne s’est pas enflammé quand on est passé de la 2G à la 3G puis à la 4G. Le saut est différent vers la 5G, au vu des gammes de fréquences hautes qui offrent beaucoup de débit mais portent bien moins loin. Les antennes de 5G sont des antennes directives qui agissent tel un phare directionnel plutôt que dans toutes les directions, comme c’est le cas encore aujourd’hui avec les antennes 4G. Grâce à la technologie dite du «groupage de faisceaux» (faire converger les ondes émises vers un smartphone en particulier), le traitement du signal est donc différent lui aussi.
Depuis que la 5G est devenue un objet de discorde dans l’espace public, l’ultra haut débit mobile a soulevé un certain nombre d’interrogations et de doutes au sein de la population. Ceux-ci se classent en trois catégories: sanitaires (dangerosité, irradiation), écologistes (décroissance) et de protection des libertés (La 5G ouvre la porte à un monde beaucoup plus automatisé et surveillé).
Autre enjeu relevé dans des pays plus vastes que la Suisse, le déploiement de 5G pourrait déboucher sur une nouvelle fracture numérique entre les villes (bien connectées) et les campagnes (plus mal desservies).
Dernier point, le volume de données en circulation augmente de toute façon, 5G ou pas. L’année dernière, par exemple, la consommation de données mobiles a augmenté d’environ 29%. Or les opérateurs n’ont pu étendre leur réseau que de 5% sur la même période à cause des blocages contre l’extension de la communication mobile. Les moratoires encouragés par une partie de la population, s’ils subsistent, pourraient avoir pour effet de ralentir un réseau mobile devenu engorgé par le volume de données: celui-ci double tous les dix-huit mois en moyenne. Bref, un vrai choix de société se profile.