Linda Wagnières est la conseillère en orientation professionnelle des écoles de La Vallée. Une interview en pleine période d’inscriptions au gymnase et de mise en place de projets d’apprentissage.
Le marché de l’emploi est secoué et, par ricochet, on devine que celui de l’apprentissage également. Quelle évolution observe-t-on sur le nombre de places d’apprentissage?
Pour être précis, on constate une diminution de 188 places d’apprentissage entre janvier 2020 et janvier 2021! En décembre dernier, la Bourse des places d’apprentissage annonçait déjà un léger recul du nombre de places totales de l’ordre de 4%, pour un total de 3200 places disponibles environ, à l’échelle du Canton. Une trentaine d’entreprises auraient donc renoncé à former cette année, que ce soit pour des raisons de COVID-19 ou pour des raisons non précisées.
Et comment interpréter ces chiffres?
Il est trop difficile de tirer des conclusions à ce stade. Au 31 août de l’année dernière, le solde des places pour lesquelles on cherchait encore des apprentis concernait des domaines comme: gestionnaire du commerce de détail, installateur électricien, agriculteur, ferblantier, électricien de montage, cuisinier, etc… Pour ce dernier par exemple, vingt-trois places de CFC étaient encore disponibles sur le Canton de Vaud. On peut encore espérer que les entreprises annoncent des places au printemps, lorsque la situation sera meilleure, en espérant qu’elle le soit!
Au-delà des statistiques, comment évolue votre propre travail de conseillère en orientation?
La crise impacte notre quotidien de conseillers, c’est certain. On se retrouve face à des attentes multiples des élèves et des parents, des entreprises, et aussi des politiques – et ces attentes peuvent être exacerbées en période de crise. Certains parents s’inquiètent et nous sollicitent peut-être davantage. L’année passée, tant l’Etat que les entreprises ont mis en place des mesures, ce qui a permis de poursuivre le dialogue. Le fait est que le marché du travail est toujours sous tension en fonction de l’offre et de la demande, et la situation sanitaire ajoute une difficulté à laquelle personne n’était préparé. Notre rôle reste pourtant toujours le même: l’écoute et le suivi des écoliers, et c’est notre priorité! Nous amenons les jeunes à trouver un équilibre entre leurs envies et ce qui est réalisable dans la société, à un moment donné.
Quelles sont les filières qui s’ouvrent ou qui se ferment au niveau de la formation?
A l’heure actuelle et à ma connaissance, la situation sanitaire n’a pas influencé l’ouverture ou la fermeture de filières en particulier. On pourrait plus particulièrement se poser la question des domaines qui ont été impactés et, bien qu’on n’en connaisse pas encore les conséquences sur les choix d’orientation, on ne fait que constater que les domaines de l’hôtellerie, de la restauration, du tourisme, de l’événementiel souffrent, et que, a contrario, les domaines comme la santé ou la logistique, recrutent. On peut imaginer que cela se répercute sur le choix d’études de certains jeunes. Ils pourraient très bien être dissuadés de choisir une filière dans le tourisme par exemple, plus incertaine, et faire un choix plus «sécuritaire». On peut aussi bien imaginer que ces domaines de la santé et de la logistique pourraient proposer plus de possibilités de formation par CFC à l’avenir. Certains élèves se rendent bien compte que le monde médical a besoin de recrues, et c’est motivant pour eux! L’offre est aussi un facteur d’orientation important. Ce qui est certain, c’est que la pandémie a un impact sur le marché du travail, et ce qui est en train de se produire, c’est l’apparition de nouvelles attitudes, comme notre manière de travailler, ou l’apparition de nouveaux postes. Heureusement, beaucoup de possibilités restent encore ouvertes, et je pense en particulier aux domaines de la construction, du bâtiment, de la mécanique, ou même des métiers de plein air comme horticulteur-paysagiste ou forestier-bûcheron. Les services aussi prennent une forme nouvelle: regardez celui des achats en ligne qui a explosé pendant le confinement.
Dissuaderiez-vous des élèves de se lancer dans un métier de la scène ou de l’événementiel, pour prendre un exemple d’un secteur pénalisé?
Vous savez, l’orientation est en partie un phénomène «inné». On a tous une tendance naturelle à se diriger vers ce qui nous convient. Les idées qui émergent sont à prendre en considération et sont toutes dignes d’être analysées, COVID ou pas COVID, on peut tout à fait partir de ce principe. Ce n’est pas de notre devoir de chercher à dissuader un jeune de vouloir réaliser sa vocation, même si des événements indépendants de sa volonté, comme la crise, viennent perturber son projet. Pour faire un choix, que ce soit professionnel ou de formation, le plus important est de prendre en compte tous les facteurs, pour qu’une décision réaliste voie le jour. C’est un subtil équilibre, comme je le disais en début d’entretien.
Sur un autre plan, quel est l’état général des élèves – je parle ici de leur moral – par rapport à la situation sanitaire?
Vous posez là une bonne question… A part une certaine lassitude, j’ai pu constater une fatigue générale. On remarque aussi une sorte de fatalisme face à la situation. Sur le terrain, la crise est finalement peu verbalisée concernant l’élaboration d’un projet professionnel mais bien plus concernant les relations sociales. N’oublions pas que cette crise arrive à un moment crucial de leur existence qu’est l’adolescence et faire un choix peut véritablement relever du défi. Ces relations entre pairs sont, en plus du plaisir qu’elles procurent, constitutives de l’identité et en être privé peut s’en ressentir chez certains. Mais il y a aussi un manque de motivation chez d’autres, ce qui est compréhensible, ils rencontrent toujours plus ou moins de succès dans leurs recherches. D’autres encore réussissent à se frayer un chemin: des stages s’organisent et des contrats se dessinent.
Parlons justement des stages. Il est plus difficile d’en décrocher cette année, non?
Tout à fait, certains élèves ont été fortement entravés dans leurs recherches. Certaines entreprises ont suspendu les stages, d’autres en ont organisé malgré les circonstances. J’ai même entendu certains employeurs dire: «Cela fait mal au coeur pour ces jeunes, nous allons donc prendre un stagiaire». Parfois, des stages plus courts ont été aménagés. J’ai aussi entendu que d’autres entreprises ont pris la décision de ne plus organiser de stage, et d’ailleurs, lors du premier confinement, cela était impossible, mais laissent la place d’apprentissage ouverte. La demande reste forte, car l’expérience est primordiale en question d’orientation et encore aujourd’hui, je suis étonnée du nombre de demandes de congé d’élèves pour des stages, malgré la deuxième vague…
Le monde de l’orientation professionnelle a dû lui aussi se mettre à l’heure digitale…
Oui, tout à fait, si le Salon des métiers a été annulé, des alternatives formidables ont émergé: nos «voisins» de l’Ecole technique ont réalisé entre autres des films d’information et des portes ouvertes virtuelles. La Nuit de l’apprentissage qui se déroulera le 10 février prochain en ligne réunira plus de cinquante entreprises, dont certaines proposent plusieurs métiers. Les inscriptions des jeunes ont démarré très fort, preuve d’un intérêt et d’une attente importante.
Le mot de la fin: êtes-vous plutôt positive ou négative par rapport à l’avenir professionnel des jeunes Vaudois, des jeunes Combiers?
Je reste optimiste! Ce n’est pas simple d’évoluer dans ces circonstances, mais nous mettons tout en oeuvre pour y arriver, c’est une question d’adaptation aussi. Nous espérons que la situation soit passagère pour que chacun puisse continuer à envisager une formation dans de bonnes conditions. D’ailleurs, nous pouvons nous appuyer sur notre système de formation helvétique qui reste extraordinaire. Il est perméable et équitable: il permet à chacun, à certaines conditions, de trouver sa place. En cela, notre mission de conseillers en orientation reste plus importante que jamais!
Carte d’identité
Linda Wagnières, conseillère en orientation scolaire et professionnelle, partage son temps entre l’établissement scolaire de Chez-le-Maître et celui des sept Fontaines à Bercher, dans le Gros-de-Vaud. Elle est à la Vallée de Joux tous les lundis, depuis deux ans. Elle rencontre principalement les élèves de dixième et de onzième VG et VP, notamment lors d’ateliers en classe ou à son bureau pour des entretiens individuels. Son travail consiste principalement à clarifier les aspirations et possibilités des élèves, à les accompagner dans l’évaluation de ressources ou d’obstacles à un choix, les renseigner afin de les rendre plus autonomes dans leur recherche, proposer des mesures d’aide et de soutien, ou encore les coacher pour la recherche de places de formation.